L’acquéreur peut-il invoquer, pendant l’état d’urgence sanitaire, la clause du rebus sic stantibus pour se dégager de son obligation contractuelle de signer le contrat d’achat de son logement? Peut-il l’invoquer pour réclamer le remboursement des arrhes ou acomptes versés au titre de réservation?

  1. QU’EST-CE QUE PRÉVOIT LA DÉCLARATION DE L’ÉTAT D’URGENCE SANITAIRE ET QUEL EST SON IMPACT SUR L’EXÉCUTION DU CONTRAT D’ARRHES.

Le Real Decreto 463/2020 du 14 mars 2000 portant déclaration de l’état d’urgence pour faire face à la situation de crise sanitaire provoquée par le COVID-19 (ci-après le RD 463/2020), est entré en vigueur le 14-03-2020 et a été modifié le 18-03-2020.

L’article 3 du RD 463/2020, modifié par le RD 465/2020, a fixé une période d’état d’urgence de quinze jours calendaires.

Ladite période a expiré le 29-03-2020 et a été prorogée par le Real Decreto 476/2020 du 27 mars 2020, assortie des mêmes mesures que celles prévues par le RD 463/2020, modifié par le RD 465/2020, au 12-04-2020, à minuit. Elle sera probablement prorogée au 26 avril 2020.

Par ailleurs, l’article 7 du RD 463/2020 restreint la liberté de circulation des personnes, lesquelles ne sont autorisées à circuler que pour la réalisation de certaines activités, c’est-à-dire celles en cas de force majeure ou nécessaires.

Par ailleurs, l’annexe du Real Decreto-ley 10/2020 du 29 mars 2020 fixant le régime des congés payés imposés aux salariés qui ne fournissent pas des prestations considérées comme essentielles et qui vise à réduire les déplacements de la population dans le cadre de la lutte contre le COVID-19, définit quelles sont les catégories de salariés non concernés par ledit RDL 10/2020. Le point 17 dudit texte englobe dans ces catégories les « salariés travaillant dans les offices de notaires et les registres affectés à la prestation des services essentiels définis par la Dirección General de Seguridad Jurídica y Fe Pública ».

Par ailleurs, la Dirección General de Seguridad Jurídica y Fe Pública, a publié le 15-03-2020 une circulaire pour l’adoption de mesures garantissant la bonne prestation par les notaires de leurs services au public où il est précisé, au paragraphe deux, ce qui suit :

      « 1.- Vu les limites à la liberté de circulation édictées par le Real Decreto 463/2020 du 14 mars 2020 portant déclaration de l’état d’urgence, ne sont à fournir que les prestations de nature urgente ainsi que celles définies par le gouvernement. Les notaires sont priés de ne pas citer les intéressés à comparaître aux actes dont la nature ne serait pas urgente ».

D’après le Consejo General del Notariado c’est au notaire de décider si l’acte à conclure est urgent ou non et donc s’il convient ou non d’attendre la fin de l’état d’urgence pour que les parties signent l’acte.

À ce jour, le notaire n’a pas, à ce que l’on sache, contacté le vendeur pour lui faire savoir que l’exécution du contrat d’arrhes ne revêt pas de nature urgente. De même, l’acquéreur n’a pas communiqué au vendeur, 10 jours au moins avant la date limite de signature de l’acte de vente, l’adresse de l’office notarial où se produira ladite signature, prévue avoir lieu en avril 2020. De même, l’acquéreur n’a pas précisé si c’est un acte urgent aux yeux du notaire.

Par ailleurs et conformément à l’article 14 de la loi 5/2019 du 15 mars 2019 fixant le régime des contrats de crédit immobiliers (ci-après la LCI), l’emprunteur-acquéreur doit se rendre, obligatoirement, au cours des dix jours précédant immédiatement la date de signature du contrat de prêt hypothécaire, à l’office du notaire afin que le prêteur l’y informe de façon appropriée et détaillée sur l’emprunt qu’il va contracter de sorte à ce que le notaire puisse certifier que le consentement de l’acquéreur au contrat est suffisamment éclairé.

En outre et conformément à l’article 15 LCI, le notaire est tenu de vérifier que les documents requis pour que se trouvent remplies les conditions prévues à l’article 14.1 LCI lui ont été produits. Le notaire, s’il constate que le respect de ces conditions est suffisamment établi, dresse un procès-verbal notarié avant la signature du contrat de prêt hypothécaire. À cet égard, l’emprunteur ou bien encore son mandataire doit comparaître par-devant le notaire afin que celui-ci dresse ledit procès-verbal au plus tard la veille de la signature du contrat de prêt instrumenté en la forme authentique (art. 15.3 LCI).

Par ailleurs, le contrat d’arrhes conclu en janvier 2020 pénalise expressément l’acquéreur dans le sens où celui-ci perdra toutes les sommes versées s’il ne comparaît pas au rendez-vous chez le notaire de son choix, rendez-vous dont il doit informer le vendeur par des moyens faisant foi.

La disposition additionnelle numéro quatre du RD 463/2020, relative à la suspension des délais de prescription et de déchéance, n’est pas applicable aux délais stipulés par les cocontractants pour la mise en œuvre et exécution du contrat.

Par conséquent et dans le cas où, éventuellement, on pourrait considérer que la situation de crise sanitaire provoquée par le COVID-19 constitue un événement de force majeure (au sens de l’article 1105 du code civil) susceptible de justifier l’inexécution par l’acquéreur de son obligation contractuelle, il lui faudra prouver à, entre autres, au vendeur, que le notaire, en sa qualité de prestataire d’un service public essentiel, a considéré qu’il n’était pas urgent de signer le contrat de vente à la date prévue.

Par ailleurs, l’article 1105 du code civil, même s’il peut exonérer l’acquéreur de sa responsabilité contractuelle vis-à-vis du vendeur et, tout au plus, justifier la suspension provisoire de l’exigibilité de ses obligations contractuelles, ne le relève et ne le libère pas pour autant de l’obligation de s’exécuter desdites obligations attendu que ladite norme n’a pas d’effet extinctif.

En conséquence, si l’acquéreur faillit finalement à ses obligations contractuelles, il en sera pénalisé par la perte des arrhes qu’il a versées, conformément aux clauses contractuelles expressément convenues avec le vendeur.

Ce sera le cas s’il ne comparaît pas chez le notaire ou s’il ne communique pas au vendeur le rendez-vous chez le notaire pour y signer, même si à une date prorogée ou reportée, l’acte en exécution du contrat d’arrhes, dans la mesure où le vendeur considérerait à titre exceptionnel que ce retard dans l’exécution du contrat est provisoire et remédiable.

À plus forte raison, si les parties ont stipulé d’un commun accord une condition résolutoire dont la validité n’est même pas contestée, cela montre bien l’importance que revêt pour eux le terme de l’exécution du contrat, notamment parce qu’ils ont convenu expressément un délai fixe et, en l’espèce, essentiel, afin que l’acquéreur notifie au vendeur le rendez-vous en l’office notarial où aura lieu la signature de l’acte de vente, afin qu’il y comparaisse.

Dans ce sens, la Cour suprême espagnole a statué le 11-05-2016 dans les mêmes termes que dans un arrêt précédent du 05-11-20012: « lorsque d’un commun accord les parties stipulent de façon expresse un délai et, en outre, une cause résolutoire en cas de manquement à celui-ci, nous sommes en présence manifestement d’une clause essentielle ».

À notre avis, l’acquéreur, étant donné qu’il n’a ni communiqué ni prouvé que le manquement contractuel à effet résolutoire est dû à la force majeure ou, le cas échéant, que le report ou la suspension du contrat est la conséquence d’un événement constitutif de force majeure au sens de l’article 1105 du code civil rapporté à la circulaire de la Dirección General de Seguridad Jurídica y Fe Pública du 15-03-2020, à la loi 5/2019 du 15 mars 2019 fixant le régime des contrats de crédit immobiliers et au Real Decreto 463/2020, il sera pénalisé, c’est-à-dire qu’il perdra les arrhes qu’il a versées, s’il ne comparaît pas chez le notaire ou s’il ne communique pas au vendeur le rendez-vous chez le notaire pour y signer, même si à une date prorogée ou reportée, l’acte de vente dans les termes prévus expressément dans le contrat d’arrhes qu’ils ont conclu.

En outre, les stipulations du contrat tiennent lieu de loi entre les parties (art. 1091 CC), notamment la clause qui prévoit que l’acquéreur devra notifier par des moyens faisant foi au vendeur, 10 jours au moins à l’avance, le rendez-vous chez le notaire de son choix qui recevra l’acte de vente en la forme authentique, et, par conséquent, une date limite de signature dudit acte.

Il y est précisé que si l’acquéreur manque au rendez-vous il perdra les sommes qu’il a versées et que le vendeur pourra disposer du bien immobilier en question car les effets juridiques attachés au contrat d’arrhes qu’ils avaient conclu se seront éteints. En outre, le vendeur pourra se prévaloir des principes de l’autonomie de la volonté (art.  1255 CC), de l’effet contraignant des conventions (art. 1.258 CC) et de résiliation en cas d’inexécution (art. 1.124 CC).

2. APPLICABILITÉ DE LA RÈGLE DU REBUS SIC STANTIBUS À  L’EXÉCUTION DU CONTRAT D’ARRHES.

La Cour suprême espagnole considère, dans ses arrêts du 11 décembre 2014, nº 742/2014, et du 19 décembre 2014, nº 741/2014 et 743/2014, que le fait pour le promoteur-vendeur de manquer de financement pour achever les travaux de construction de logements ne constitue pas un événement imprévisible donnant droit à l’acquéreur de réclamer la résolution du contrat de vente du logement sur la base de la règle du rebus, qui est à appliquer de façon exceptionnelle aux contrats à exécution instantanée, comme par exemple le contrat de vente.

C’est pourquoi, concernant les contrats de vente de logements, notamment ceux dont le prix dépasse 500 000 euros, les acquéreurs devraient prévoir et obtenir le financement pour une telle opération, avant de susciter des attentes et des délais de livraison vis-à-vis des vendeurs concernés et ayant intérêt à la bonne fin du contrat.

Dans ce sens, le défaut injustifié ou survenu de financement chez l’acquéreur ne peut être opposable au vendeur. Plus encore, il n’existe aucune clause dans le contrat d’arrhes stipulant que le contrat de vente est soumis à la condition suspensive de l’obtention d’un financement. À cet égard, le contrat de vente n’est pas soumis à l’obtention par l’acquéreur d’un financement et, par ailleurs, le vendeur ne s’y est pas obligé à trouver un financement pour l’acquéreur.

Certes, la crise sanitaire a altéré le contexte social de passation des contrats, cependant le principe du pacta sunt servanda et le principe de maintien des contrats restent en vigueur et les débiteurs continuent d’être tenus de s’exécuter de leurs obligations contractuelles. C’est ainsi que la règle du rebus sic stantibus n’est applicable que de façon exceptionnelle. La Cour suprême s’est d’ailleurs prononcée récemment dans ce sens dans un arrêt du 09-06-2019, disant que :

       « […]. 1.- Comme précisé par l’assemblée plénière de cette Chambre dans l’arrêt nº 820/2012 du 17 janvier 2013, la clause du rebus sic stantibus [les choses demeurant ainsi], proche du point de vue de son fondement des articles 7 et 1258 du code civil, vise à parer aux problèmes liés à l’altération causée par un événement postérieur à la situation existante ou aux circonstances existantes lors de la conclusion du contrat, lorsqu’une telle altération est à ce point grave qu’elle augmente extraordinairement l’onérosité ou le coût des prestations de l’un des cocontractants ou bien encore finit par faire échec à la finalité même du contrat ».

Certes, la jurisprudence a accueilli cette règle mais de façon exceptionnelle, compte tenu du principe général énoncé à l’article 1091 du code civil qui veut que les contrats soient à exécuter. Elle l’applique de façon encore plus exceptionnelle aux contrats à exécution instantanée, comme par exemple aux contrats de vente et d’achat.

           […]. 2.- La Cour, dans son arrêt nº 626/2013 du 29 octobre 2013, était amenée à se prononcer sur l’application de la règle du rebus sic stantibus aux contrats ayant des résultats économiques incertains. Elle y a dit que :

 « pour que soit applicable cette technique de résolution ou de révision du  contrat il faut, entre autres conditions, tel que rappelé dans l’arrêt du 23 avril 1991, que l’altération des circonstances ait été imprévisible, ce qui n’est pas le cas lorsque l’incertitude constitue la base déterminante du lien contractuel. »

C’est-à -dire que la règle du rebus sic stantibus est inapplicable aux contrats portant sur des opérations où l’attribution du risque à l’un des cocontractants ou la répartition du risque suivant un critère donné n’est pas définie.

3.- La jurisprudence, tout comme les dispositions de droit international précitées, considèrent comme une condition nécessaire à l’application de la règle du rebus sic stantibus le caractère imprévisible du changement des circonstances. Dès lors que les cocontractants ont assumé expressément ou tacitement le risque de la survenance d’une situation ou bien encore auraient dû prévoir, eu égard aux circonstances et/ou à la nature du contrat, qu’un tel risque était raisonnablement prévisible, il n’est pas possible de s’en tenir à l’altération postérieure qui, par définition, implique la non acceptation du risque ».

Par conséquent, étant donné que les cocontractants ont assumé le risque que survienne une situation, à savoir la perte des arrhes versées au motif de défaut de notification au vendeur du rendez-vous chez le notaire ou bien encore de non comparution de l’acquéreur audit rendez-vous, l’acquéreur ne saurait arguer de l’altération postérieure des circonstances du contrat dès lors qu’il était expressément prévu que lesdites circonstances constituaient un risque normal du contrat. Par conséquent, la règle du rebus sic stantibus n’est pas applicable ici. La Cour suprême a statué récemment dans ce sens, dans un arrêt du 13-07-2017, disant que :

    « D’une part, l’impossibilité non-fautive survenue par la suite rendant impossible l’exécution au motif de cas fortuit qui libère le débiteur de son obligation de remettre la chose déterminée suite à la perte de celle-ci (article 1182 CC) ou bien encore l’impossibilité objective d’exécuter l’obligation de faire (article 1184 CC) est inapplicable au débiteur d’une somme d’argent.

D’autre part, pour que l’impossibilité d’obtenir un prêt puisse être considérée comme une altération imprévisible des circonstances qui existaient à la date de passation du contrat et qui justifie de libérer le débiteur de ses obligations, il faudrait prouver qu’il s’agissait d’une impossibilité de financement imprévisible. Il n’est pas suffisant de faire état de difficultés subjectives de financement de l’acquéreur.

En l’espèce, il était prévu dans le contrat les conséquences en cas de désistement ou d’inexécution par les acquéreurs de leurs obligations de paiement, à savoir la résiliation du contrat et le droit pour les vendeurs de garder, au titre de dédommagement, les sommes versées par l’acquéreur. Conformément à l’article six du contrat, les sommes versées d’avance servaient non seulement à confirmer le contrat de vente mais également à se dédire et à les perdre ou bien encore, si c’était les vendeurs qui se dédisaient ou n’exécutaient pas le contrat, à les restituer au double aux acquéreurs. Par conséquent, il n’existe aucun motif justifiant que les vendeurs aient à assumer le risque de non-obtention de prêt et la non-application des conséquences prévues dans le contrat ».

Étant donné que les conditions d’applicabilité du principe du rebus sic stantibus, ne se trouvent pas réunies, l’acquéreur ne pourra que, tout au plus, demander la mise en suspens ou le report provisoire de l’exécution du contrat d’arrhes jusqu’à ce que l’état d’urgence et ses prorogations prennent fin, et devoir prouver pour ce faire et au préalable que l’acte d’information par-devant le notaire dont il est question dans la LCI ou bien encore que l’acte de vente n’est pas, de l’avis du notaire qui le recevra en la forme authentique, urgent. Tout cela, conformément au principe général du maintien des contrats et à celui du pacta sunt servanda.

Miguel Morillon

Avocat au Barreau de Madrid

Ceci peut aussi t intéresser…